« Comprendre les défis d’aujourd’hui, entreprendre les changements de demain ». Pour Hugues Jeannerat, ce slogan résume bien le master interfacultaire en innovation de l’Université de Neuchâtel. Mais quelle est la philosophie de ce master ? Quel est le sens profond de cette devise ? À qui s’adresse ce master ? Autant de questions auxquelles le coordinateur du master a répondu lors de cette interview.
Pouvez-vous résumer le master en innovation en une phrase ?
Le slogan « Comprendre les défis d’aujourd’hui, entreprendre les changements de demain » résume très bien la philosophie du master.
L’esprit du master, ou autrement dit son objectif, est de donner aux étudiant-e-s des outils leur permettant de comprendre les grands enjeux socio-économiques d’aujourd’hui que sont, par exemple, la durabilité, les migrations, le développement régional, la digitalisation, etc. Nous leur permettons aussi par une approche managériale, d’imaginer et mettre en œuvre des solutions et des changements pouvant répondre à ces grands enjeux.
UN master, TROIS orientations différentes. Pourquoi ce choix et ces orientations spécifiquement ?
Lorsque le master a été imaginé, nous avons souhaité avec mes collègues [NDR. Hugues Jeannerat est coordinateur du master, Daniel Kraus, Emmanuelle Reuter et Olivier Crevoisier sont respectivement en charge des orientations droit, management et société] créer de l’interdisciplinarité et aussi, ce qui est peut-être unique parmi les hautes écoles de Suisse, avoir trois facultés, la faculté de droit, la faculté des sciences économiques et la faculté des lettres et sciences humaines, qui portent conjointement ce master. Cette interdisciplinarité permet de comprendre les enjeux de l’innovation et de réfléchir sur des solutions d’un point de vue large, avec une vision juridique, économique, sociale et humaine.
Ensuite, nous avons voulu que les étudiant-e-s d’horizons différents trouvent une porte d’entrée facilitée selon leur formation préliminaire. Pour cela, nous avons défini trois orientations à savoir 1) Droit de l’innovation, 2) Management de l’innovation et 3) Innovation et société pour profiler trois types de formation. Chaque faculté co-porteuse du master a la responsabilité d’une orientation spécialisée dont elle décerne le titre.
C’est aussi un raisonnement pragmatique. Par exemple, une étudiante qui suit le master en droit de l’innovation obtiendra un Master of Law en innovation et pourra ainsi effectuer un stage d’avocat. La faculté des lettres et sciences humaines décerne un Master of Arts en innovation, orientation innovation et société et la faculté des sciences économiques décerne un Master of Science en innovation, orientation management de l’innovation.
Vous annoncez que le master est ouvert aux étudiant-e-s de tout horizon mais les orientations s’adressent à des détenteurs de titre de bachelor particulier, n’y a-t-il pas une contradiction là-dedans ?
Les différentes orientations permettent justement de donner accès au master à des étudiant-e-s issu-e-s de bachelors variés. Ils et elles se rejoignent ensuite au sein d’un tronc commun d’enseignements interfacultaires obligatoire.
Il est également possible d’effectuer un module de rattrapage pour intégrer une orientation différente de celle prédestinée par le bachelor. Pour l’orientation management de l’innovation, cette passerelle est de 30 crédits ECTS pour tous les bachelors non issus des sciences économiques et est directement intégrée au cursus du master. Pour les deux autres orientations, la passerelle est définie au cas par cas sur la base du dossier des candidat-e-s.
Faut-il un profil type, par exemple être entrepreneur et aimer les nouvelles technologies, ou n’importe qui peut suivre votre master ?
Le master s’adresse à toutes les personnes intéressées à comprendre, entreprendre ou accompagner des projets et processus de changement dans le monde d’aujourd’hui. Le constat de départ du master est que nous sommes dans une période historique où l’innovation est énormément thématisée. Nous pouvons voir cela de manière critique ou positive, peu importe, mais le fait est que le thème de l’innovation est présent partout et dans tous les domaines. Que ce soit dans les nouvelles technologies, les start-up, l’entreprenariat ou autres, ce qui est somme toute assez classique mais aussi dans le domaine des ONG, des administrations publiques, de la société, notamment quand on parle d’innovation sociale.
Finalement, le pari que nous faisons est le suivant : les étudiant-e-s du master en innovation seront en phase avec une grande terminologie de notre époque. Il s’agit pour eux de comprendre les différentes facettes du terme « innovation » et justement, le terme d’innovation ne se limite pas aux nouvelles technologies, aux start-up et à l’entrepreneuriat.
C’est pour cela que nous avons des profils d’étudiant-e-s très variés et c’est, me semble-t-il, la force du master d’être composé chaque année d’une petite cohorte d’étudiant-e-s (environ une vingtaine par année). Cela permet de créer une ambiance où les différents profils, les différentes sensibilités peuvent interagir, bien que la période sanitaire actuelle rende les choses un peu plus compliquées.
Votre master ne semble pas être orienté sur la pratique et la technique, mais plutôt dans une perspective humaine et sociale, pourquoi ce choix ?
La première raison est que l’Université de Neuchâtel qui est à la fois petite et à taille humaine, se veut pertinente sur les grandes problématiques de société d’aujourd’hui, notamment avec beaucoup d’enseignant-e-s et d’étudiant-e-s dans le domaine des sciences humaines et sociales.
Aujourd’hui, le rôle des sciences humaines et sociales dans l’innovation est peu traité. Lorsqu’on parle d’innovation, on se tourne assez naturellement vers les École Polytechnique Fédérale et les écoles d’ingénierie. Plus que jamais, les étudiant-e-s en sciences humaines et sociales doivent être actrices et acteurs de l’innovation et pas seulement observatrices et observateurs.
L’Université de Neuchâtel a une carte à jouer dans ce domaine. Ses facultés de petite taille permettent de valoriser une interdisciplinarité forte. Ce master illustre cela dans un domaine encore peu occupé par les sciences sociales et humaines en Suisse.
Envisagez-vous des collaborations avec des hautes écoles actives plutôt sur la partie pratique et techniques comme les hautes écoles d’ingénierie ou les écoles polytechniques fédérales ?
Des collaborations se font déjà. Il n’y a pas du tout d’opposition entre d’un côté la partie pratique et technique et de l’autre la partie sociale et humaine. C’est bien l’idée de mettre en évidence les sciences humaines et sociales dans l’innovation en complémentarité avec les sciences naturelles, l’ingénierie et la technologie. L’innovation est quelque chose de complexe et ne résume pas dans un produit, un service ou une discipline,
Nous avons des contacts réguliers avec la Haute École Arc Ingénierie avec qui nous essayons de développer des exercices conjoints. Nous avons surtout participé en 2018 et 2019 à l’Innovation Crunch Time (les deux dernières ont été annulés pour cause de COVID-19) organisé par l’université technologique de Belfort-Montbéliard avec qui nous collaborons étroitement dans le cadre de la communauté du savoir franco-suisse. Le Crunch Time est une semaine grandeur nature de défi d’ingénierie durant laquelle nos étudiant-e-s accompagnent des étudiant-e-s en ingénierie dans le développement de produits, de processus industriels ou de start-ups. Fin 2019, nous avons également organisé une journée de réflexion sur l’industrie 4.0 avec les étudiant-e-s de cette même université technologique.
Au cours de leur master, les étudiant-e-s ont le choix entre réaliser un mémoire de master ou faire un stage soutenu par un mémoire de stage.
Pourquoi laisser ce choix ?
Car nous pensons que ce choix relève de l’intérêt personnel des étudiant-e-s. La proposition de faire un stage est un élément important du master. Mais dans certains cas, il peut s’avérer plus intéressant ou pertinent d’effectuer un travail de master plus conventionnel.
En effet, il n’est pas toujours facile pour l’étudiant-e d’intégrer ce stage dans son emploi du temps. Trouver un stage peut aussi prendre du temps. Nous ne disposons pas de liste de stages prédéfinie. Certains de nos partenaires en proposent parfois mais ce n’est pas quelque chose d’automatique. Les étudiant-e-s doivent s’organiser pour trouver leurs stages. Nous les aidons dans la mesure du possible.
Et puis il y a aussi des étudiant-e-s qui sont plus intéressés par des travaux de recherche un peu plus classiques, qui se font parfois en partenariat avec des entreprises. Par exemple, une étudiante qui souhaite créer sa start-up dans le domaine des cryptomonnaies peut réaliser un travail de recherche dans ce domaine dans l’optique de le mettre à profit pour sa start-up.
L’idée est de laisser de la flexibilité aux étudiant-e-s. Nous sommes ouverts à leurs idées et pouvons envisager avec eux un stage ou un travail de recherche pertinent. Mais c’est à l’étudiant-e-s de définir son projet et de le concrétiser.
Nous constatons que toujours plus d’organisations extra-universitaires sollicitent des collaborations avec le master en innovation pour pouvoir bénéficier des compétences de nos étudiant-e-s.
D’après votre expérience, quel choix est privilégié par les étudiant-e-s ?
Il n’y pas vraiment un choix privilégié, on est plutôt sur du 50-50. Il peut arriver, pour différentes raisons, que des étudiant-e-s font un stage mais ne le valorise finalement pas sous la forme d’un mémoire de stage. Ils/elles réalisent donc aussi un mémoire de recherche pour leur master. Ils effectuent aussi parfois des stages hors master. Ils sont en tout cas très actifs durant leur master.
J’aimerais ajouter que dans le master, le pont entre la théorie et la pratique se fait aussi au travers d’exercices concrets comme l’Innovation Crunch Time dont je vous ai déjà parlé ou comme le programme ACTIVATION où nous commentons des projets d’entreprises à impact sociétal durant une journée. Nous avons aussi les différents Design Thinking Challenges organisés par ma collègue Emmanuelle Reuter où nos étudiant-e-s travaillent sur des thématiques données par les entreprises et leurs problématiques. De même, mon collègue Olivier Crevoisier travaille cette année dans le cadre de son séminaire économie, innovation et société sur des projets soutenus par la politique régionale dans le canton de Neuchâtel. Donc les étudiant-e-s touchent directement à ces projets. Lors de ses séminaires thématiques Daniel Kraus travaille, quant à lui, sur des problématiques concrètes de propriété intellectuelle posées par des entreprises de la région. D’autres exercices de ce type sont aussi proposés par d’autres enseignant-e-s dans le cadre du master.
Beaucoup disent que la digitalisation et l’industrie 4.0 mettent à mal notre environnement que ce soit par le rejet massif de CO2, de l’extraction de ressources rares, l’exploitation humaine, etc. Quelle est la place de la durabilité dans le master ?
La place de la durabilité est au cœur du master pour deux raisons. Premièrement, c’est une valeur importante dans la philosophie du master qui sous-tend l’ensemble de la formation. L’université de Neuchâtel, avec ce master, a un focus humain ! L’être humain est au cœur des enjeux actuels de l’innovation car il est celui qui fait le changement en tant qu’entrepreneur ou autre, mais aussi en tant que destinataire de l’innovation, par les conditions de vie humaine qui sont l’objet de l’innovation. Finalement le master dispose aussi de plusieurs enseignements qui traitent justement de ces questions de durabilité notamment en termes de transitions énergétiques, de transitions écologiques, de durabilité sociale (protection des données, marketing de l’innovation sociale, urbanisme durable, etc.).
Un dernier mot ?
J’aimerais mettre avant deux aspects qui me semblent importants dans ce master en innovation :
- L’interdisciplinarité qui est très importante dans le master. Alors beaucoup d’étudiant-e-s ont des questions, des préoccupations avant de commencer qui sont tout à fait légitimes. Ces questions portent principalement sur le profil final obtenu à la fin du master. À la fin du master, les étudiant-e-s sortent avec un profil généraliste orienté sur la réflexion et l’action et non pas spécialiste. Nous n’avons pas encore suffisamment de recul sur le master car il existe depuis seulement 3,5 ans et que les premiers étudiant-e-s viennent de terminer. La plupart ont déjà été engagés dans leur premier emploi post-master mais nous ne pouvons pas encore en tirer des enseignements généraux. Nous pensons que la diversité, la capacité d’être flexibles, de se poser des questions multidisciplinaires sera un atout pour la société de demain qui demande une grande agilité, une capacité de réfléchir aux problèmes de notre société et des solutions qui peuvent être complexes.
- Nous proposons un master qui s’intègre dans la société tout au long du cursus académique. C’est notre manière de relier et d’activer les connaissances interdisciplinaires élargies de nos étudiant-e-s à des situation spécifiques et concrètes.
L’approche générale du master en innovation, et c’est bien là le message principal que je souhaiterais faire passer, n’est pas de dissocier théorie et pratique. Notre méthodologie d’enseignement ne consiste pas à ce que les étudiant-e-s apprennent une théorie et ensuite la mette en pratique. L’approche est de faire les deux en même temps, d’apprendre en faisant, de confronter la théorie à la pratique. Il ne s’agit pas d’avoir un master où les étudiant-e-s apprennent durant deux ans et ensuite mettent en pratique durant le stage. Tout au long du cursus académique, les étudiant-e-s se frottent à des problématiques de société, se confrontent à des challenges posés par des entreprises de la région ou d’ailleurs, font des exercices durant lesquels ils apprennent en action. Nous souhaitons véritablement faire un pont entre le monde académique et professionnel et faire en sorte que le thème de l’innovation soit intégré dans le tissu socio-économique de la région.
Grégoire Droz-dit-Busset, rédacteur Innovation Time Neuchâtel
Last modified: 18 avril 2021